De Cocherel à André Leroy-Gourhan

Le Néolithique (du grec νέος, néos, nouveau, et λίθος, líthos, pierre) qui signifie littéralement « nouvel âge de la pierre » est un terme assez récent puisque c’est le préhistorien John Lubbock qui le propose en 1865. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne se soit pas interrogé avant cette date.

Le premier signalement supposé d’un monument néolithique est sans doute celui de Diodore de Sicile qui, au 1er siècle avant J.C.,  nous décrit ainsi le monument de Stonehenge : « Il y a au-delà de la Celtique, dans l’Océan, une île qui n’est pas moins grande que la Sicile. (…) On voit dans cette île une vaste enceinte consacrée à Apollon, ainsi qu’un magnifique temple, de forme ronde, orné de nombreuses offrandes. ».

 Il est évident que beaucoup de mégalithes (dolmens, menhirs ou cromlechs) ont été longtemps au cœur de traditions locales ou de cultes païens. En 1532, c’est par exemple Rabelais qui nous écrit que Pantagruel aurait à Poitiers « arraché la Pierre-Levée de la falaise pour en faire une table de banquets pour les étudiants ». En Bretagne les traditions sont nombreuses et la toponymie des lieux en témoigne encore aujourd’hui comme par exemple « La Roche aux fées » d’Essé (Ille-et-Vilaine). Cette allée couverte est dans la tradition une grotte construite par les fées pour protéger les restes de certains défunts.

 L’avènement de la religion Chrétienne entraine la destruction de nombre d’entre-deux ou la « christianisation » de ces monuments. Parmi les plus connus, on peut signaler par exemple l’édification en 1663 de la Chapelle Saint Michel à Carnac au dessus d’un tumulus ou la Christianisation en 1920 du menhir de Saint-Uzec.

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Cela dit, certains monuments ont été reconnu très tôt comme des sites funéraires. C’est ainsi qu’en Juillet 1685 à Houlbec-Cocherel, à lieu la première « fouille » archéologique d’une allée couverte. Alors qu’il recherche des pierres pour faire des travaux sur l’Eure, l’abbé Cocherel découvre « les os de vingt corps d’homme de la grandeur ordinaire », « trois petits pots d’une terre noire » et « trois pierres, dont deux d’un caillou grisâtre très dur, taillé comme des fers de hache, aiguisées et polies sur la meule » qui « s’enchâssaient par le bout le plus étroit dans un morceau de corne de cerf creusé par le bout pour y recevoir ces pierres » et « percé par le milieu pour l’emmancher au bout d’un bâton, et en faire une hache ». Cela dit, la principale question qui se posait à l’époque était de conclure qu’ « aucune inscription ni sculpture, ni figure qui pût faire croire que ces hommes-là eussent été chrétiens » afin de détruire le monument.

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Au XVIII siècle, tous les monuments mégalithiques sont encore l’œuvre des « Celtes », c’est l’époque des premiers « antiquaires » comme le Sire de Robien, Président du Parlement de Bretagne qui étudie vers 1730 Carnac et Locmariaquer ou le Comte Anne de Caylus qui vers 1752 a l’intuition que les mégalithes sont « de beaucoup antérieur aux Romains ».

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Mais revenons à John Lubbock dont la définition du Néolithique est le résultat d’une évolution tout au long du 19° siècle. En 1820, c’est le Danois Christian Jürgensen Thomsen qui classe les collections de son musée en fonction des principaux matériaux utilisés et crée une classification dite des « trois âges » : l’âge de la Pierre, l’âge du Bronze et l’âge du Fer.

En France, c’est Jacques Boucher de Perthes qui publie en 1847 : « De l’Homme antédiluvien et de ses œuvres », concluant que « l’homme a bien été le contemporain de certains animaux disparus, à une époque antérieure au Déluge », que « les climats ont changé puisqu’il y avait des éléphants et des hippopotames dans la vallée de la Somme » et « qu’on peut distinguer une période tropicale, une période glaciaire et une période tempérée ». Avant ses conclusions, il était généralement admis que l’apparition de l’Homme remontait à 4 000 ans av. J.-C., conformément au récit biblique.

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A partir de là, les « classifications des temps préhistoriques » vont se succéder avec quelques controverses célèbres comme celle sur l’Aurignacien. Mais au-delà de ces polémiques, l’époque est aussi aux « antiquaires » et autres « celtomanes » qui courent la campagne pour compléter leurs collections.

Ces amateurs « d’antiquités » se regroupent en sociétés savantes à partir de 1820 et organisent des fouilles sur les sites mégalithiques.  Malheureusement, ces « fouilles » n’aboutissent que rarement à des publications descriptives.

En parallèle, des 1834 est créé le « Comité des Travaux Historiques » rattaché au Ministère de l’instruction dont Prosper Mérimée est l’Inspecteur des Monuments historiques. C’est lui qui contribue en France à un premier inventaire des monuments mégalithiques.

En 1862, Napoléon III signe le décret de création du Musée des Antiquités celtiques et gallo-romaines de Saint Germain en Laye dont Gabriel de Mortillet devient attaché à la conservation chargé d’y classer les séries de l’âge de pierre, considérablement enrichies en 1865 par le don des collections de Boucher de Perthes

En Bretagne, l’abbé Mahé fonde à Vannes en 1826 la Société polymathique du Morbihan), qui fouille le tumulus d’Arzon en 1853 ou le tumulus de St-Michel et la Table des marchands de Locmariaquer à Carnac en 1861. Cette société édite des bulletins (125 tomes) et contribue à fournir les collections du Musée du Morbihan. Elle compte encore aujourd’hui 570 membres.

En région Parisienne, on trouve dès 1859, la Société d’Anthropologie de Paris fondée par Paul Broca (qui édite le BSAP) et surtout, à partir de 1904, la Société Préhistorique Française. La SPF édite des publications (bulletins et mémoires), organise des colloques et compte 1500 membres.

Pour retrouver les anciennes publications de cette époque, allez voir sur le web : « Gallica », la bibliothèque numérique de la BnF, ainsi que « Persée » (pour Programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales).

Les membres de ces sociétés sont d’abord et avant tout des collectionneurs. Chaque région a sa Société et chaque Société à ses collectionneurs qui écument les gisements :

  • James Miln et Zacharie Le Rouzic à Carnac
  • Le Baron de Baye avec les hypogées de la Marne
  • Jacques Boucher de Perthes puis Victor Commont en Picardie
  • Louis Capitan, Edouard Lartet sur la Vézère en Dordogne
  • Edouard Piette pour les Pyrénées et les Landes
  • Gabriel et Adrien de Mortillet
  • L’abbé Cochet et Léon Coutil pour la Normandie et le Vexin
  • Paul de Givenchy et Louis Giraux en Région Parisienne
  • Gustave Fouju pour la Beauce

Certains collectionneurs se retrouvent au sein de la « Société d’excursions scientifiques » qui organisent 77 visites et fouilles de dolmens et autres allées couvertes entre 1899 et 1935. Apres la fouille, certains de ces monuments se retrouvent ensuite dans les douves du Musée de Saint Germain en Laye.

Mais, avec la création de la Société Préhistorique Française en 1904, la recherche se « professionnalise » un peu plus même si c’est vrai qu’il faudra encore attendre les années 50 pour avoir de vrais archéologues comme André Leroy-Gourhan qui résume bien le changement de la situation : « On ne fait pas plus de Préhistoire en ramassant des haches polies qu’on ne fait de Botanique en cueillant des salades dans son jardin ».

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