Parures du Néolithique

La parure est un vaste sujet qui peut s’appréhender par les cultures, les matières, les techniques, le savoir-faire, les échanges entre communautés, le rapport des vivants et des morts, les comparaisons ethnologiques, le statut des individus, les inégalités sociales… Pour éviter de se perdre, j’ai fait le choix de vous présenter quelques parures du Néolithique en France.

Les matières premières

La diversité des matières est un trait commun à tout le Néolithique avec des origines qui peuvent être locales comme très lointaines. On va distinguer 5 types de matières : les coquillages, les matières dures animales, les matières minérales, les premiers métaux et les matières organiques.

Les parures en coquillage existent depuis le Paléolithique et perdurent sur tout le Néolithique avec une évolution qui va des coquillages entiers vers les tests découpés pour façonner des perles, des pendeloques et parfois des bracelets. J’ai choisi de faire un focus sur le spondyle qui est utilisé dans tout le Danubien européen de la Grèce au Bassin Parisien (du VIème au début du Vème millénaire).

Les matières animales sont, elles aussi, intemporelles que ce soit sous la forme d’un os long de petit animal percé, d’un os creux scié en rondelles pour faire des anneaux, d’os plats découpés pour en faire des perles, de bois de cerf découpés en perles ou en pendeloques allongées, de dents de canidés ou de suidés percées en pendeloques, de craches de cerfs ou encore de vertèbres de poissons. On fera un arrêt sur le mobilier des hypogées de la Marne au Néolithique Récent.

Les matières minérales sont les plus nombreuses et les plus variées. On pense à l’argile, le moyen le plus simple de façonner une perle, mais aussi aux nombreuses roches (schiste, craches alpines, perles en calcaire ou en talc, stéatites, séricites et variscites, aux quartz et cristal de roche, à la fibrolite…). On en verra quelques-unes.

Les premières parures en métal (cuivre, or, plomb) qui sont d’abord importées puis produites dans les Grands Causses par la culture de Fontbouisse au début du IIIème millénaire.

Reste enfin les matières organiques qui ont malheureusement disparu. On pense au bois, aux fibres végétales, au cuir, aux poils et aux plumes des animaux qui ont complètement disparu mais dont substituent les traces dans les vides marqués de certaines tombes ou sur les gravures récemment identifiées sur quelques rochers et menhirs.

Au Néolithique Ancien

Le spondyle est un mollusque formé de 2 valves circulaires qui est fréquent sur les côtes méridionales françaises mais ne semble pas avoir été utilisé comme parure. Les parures danubiennes sont réalisées à partir de coquillages issus de la mer Egée en Grèce qui vont voyager à partir de 5500 avant notre ère. De ces grands coquillages (maxi 15 cm), on va fabriquer des longues perles tubulaires pour des colliers, des bracelets obtenus par perforation du centre de la coquille ou encore des fermoirs de ceintures et des médaillons de ceintures attachés par les 2 orifices au sommet de la valve. Leur diffusion porte sur plus de 3000 km et l’utilisation de ces parures se fait sur plus de 600 ans, entrainant des usures et de nombreuses réparations. On pense que ces parures se transmettaient de génération en génération, en complément d’autres parures d’origines plus locales. Elles restent d’ailleurs très rares dans les inhumations.

La parure de la tombe du « Bas-des-vignes » à Vert-la-Gravelle (Marne) est une des plus riches du Rubané du Nord de la France. Plus de 1000 objets ont été assemblés pour constituer la parure d’une femme de moins de 30 ans. On retrouve un fermoir de ceinture en spondyle déposé à coté de sa tête, mais aussi un vêtement brodé de plus de 800 coquillages marins venant de la Manche, un grand bracelet en calcaire et un collier de 63 perles de coquilles fossiles d’origine locale.

Le bracelet en calcaire est datés de la culture Villeneuve-Saint-Germain, c’est-à-dire à la fin du Rubané dans le Nord-Est de la France. Il ne faut pas les confondre avec les bracelets en calcaire blanc du Cardial Provençal. Pour le Nord, on retrouve des calcaires blancs du Bassin Parisien et des calcaires gris en provenance des Ardennes.

Mais le calcaire n’est pas la seule matière première. Pour le Bassin Parisien, la Belgique et la Bretagne, on a déjà évoqué sur ce site les anneaux réguliers à couronne étroite en schiste qui ont circulé au VSG. Des dizaines de milliers de ces anneaux ont circulé pendant 300 ans au départ des sites de production de Normandie et des Ardennes. Ils s’apparentent, selon les modèles ethnographiques, à des « monnaies primitives » utilisées pour le paiement d’échanges marchands ou dans des compensations de mariage ou du prix du sang. A noter que ces anneaux un peu ternes, étaient sans doute huilés pour les rendre brillants.

Les anneaux en « roches nobles » ont une tout autre signification, surtout quand ils sont trouvés en dépôts. Les plus rares sont les anneaux en jadéite (une trentaine d’exemplaires connus en Europe). Issus de carrières sur les flancs du Mont Viso, ils ont parfois parcouru 850 km jusqu’au Mané er Hroëk à Locmariaquer (Morbihan).

D’autres anneaux, beaucoup plus nombreux, sont en serpentine alpine, une roche beaucoup moins tenace que la jadéite avec une aire de diffusion similaire. En Alsace aussi, des anneaux-disques en serpentine ou en méta-gabbro sont réalisés à partir de galets percés. Ils sont facilement identifiables avec leur forme inhabituelle. On les retrouve dans les habitats comme dans les sépultures jusqu’en Bretagne. Qu’ils viennent des Alpes ou du Rhin, ces anneaux sont souvent remis en forme en Bassin-Parisien pour se conformer aux attentes locales.

Des productions d’anneaux sont aussi identifiés pour le Néolithique Ancien dans le Sud de la France : Anneaux en amphibolite à Germignac (Charente -Maritime) ou dans le massif de Sarrazac (Dordogne). La diffusion part vers le Nord pour alimenter les groupes VSG sur un rayon de plus de 400 km.

Au Néolithique Moyen

Le Néolithique Moyen est marqué par les grandes haches alpines qui sont souvent associées à des perles en variscite ibérique. Celles-ci se retrouvent principalement dans les sépultures mégalithiques de Bretagne, de Provence et des Pyrénées et très tôt, le « callaïs » a été identifié comme ayant une origine lointaine.

C’est en 1970 que les minières sont identifiées à Gavà (au Sud de Barcelone) avec une centaine de puits d’extraction allant jusqu’à une quinzaine de mètres de profondeur. La minière s’étend sur plus de 250 hectares et trouve son apogée entre 4000 et 3600 avant notre ère. On y produit des perles et des pendeloques qui sont montées en colliers ou bracelets. D’autres minières semblent avoir été identifiées du coté de Zamora (Palazuelo de las cuevas), en Andalousie (Encinasola) et au Nord du Portugal (Ervedosa). Il faut visiter les musées de Vannes, de Carnac ou de Barcelone pour s’émerveiller de la beauté de ces parures dont on pense qu’elles étaient acheminées depuis la Galice jusqu’en Bretagne par une liaison maritime directe.

La parure est donc aussi le témoignage d’échanges sur de longues distances. D’ailleurs la mine #83 à Gavà a été transformé en inhumation et, parmi le mobilier funéraire de ce « bijoutier », on retrouve 61 perles en variscite, une réserve de préformes de perles, mais aussi un collier de 241 perles de corail rouge et une lamelle en obsidienne de Sardaigne ainsi que 3 haches polies en éclogite du Mont Viso et une hache polie en fibrolite du centre de l’Espagne.

D’une apparence très proche mais à l’origine très différente, il faut signaler la séricite de Loire-Atlantique. Dès 1883, Felix Gaillard l’identifie sous la forme d’une « pendeloque un peu celtiforme en talc micacé ». Cette séricite, de couleur verte ou noire, est utilisée pour réaliser des pendeloques oblongues ainsi que, plus récemment, des perles discoïdes et olivaires. Au départ des gîtes de Loire-Atlantique, ces parures sont diffusées sur un rayon de 300 km.

La tombe de type transeptée de L’Isle Briand au Lion d’Angers (Maine-et-Loire) présente une parure composée de 36 perles en séricite attribuable au Néolithique moyen. Les perforations sont larges (4 à 9 mm) et de type biconique, laissant penser à l’emploi d’un outil pointu.

Il faut considérer ces parures en séricite comme une véritable alternative régionale à l’acquisition des callaïs d’origine ibérique. Il permet de compenser la rareté et les difficultés d’accès aux variscites ibériques pour des communautés très demandeuses en matières minérales vertes. Dans d’autres régions, on constate le même phénomène comme en Provence, par exemple, avec les perles en muscovite ou en paragonite produites dans l’arrière-pays Niçois. 

Bien d’autres matières sont utilisées pour réaliser des perles et des pendeloques. A titre personnel, j’ai un faible pour celles en quartz hyalin ou en cristal de roche qui restent assez rares et ont été trop peu étudiées. Rien que de les admirer avec le soleil en transparence vous fera vibrer.

Le Morbihan et le Sud du Finistère présente plusieurs dizaines de sépultures de tous types qui contiennent des objets plus ou moins bien décrits en quartz : des perles, mais aussi des prismes, des galets, des éclats… La tombe à couloir de Rogarte (Carnac, Morbihan) a livré une douzaine de pièces en quartz ou en cristal de roches, en plus des perles en variscite et séricite. Parmi ces pièces, une pendeloque oblongue entièrement polie et une autre en forme de dent avec une amorce de perforation.

Au Néolithique Récent et Final

Avec le Néolithique Récent, apparaissent d’autres matières comme l’ambre de la Baltique. Cette résine fossile est connue sous forme de perles au début du IIIème millénaire et va être très largement diffusée dans toute l’Europe.

Le jayet et la lignite sont des matériaux fossiles bitumineux utilisés pour réaliser des parures tout au long du Néolithique. Pour le Midi de la France, on les retrouve dans plus de 370 sites funéraires attribuables au Néolithique final (entre 3500 et 2500 avant notre ère) et très concentrés autour des Grands Causses et le Quercy.

Les formes sont très diverses allant des perles discoïdes ou cylindriques aux pendeloques triangulaires biforées. Associées à des perles en stéatite ou en test de coquillage, elles forment des bracelets et des colliers de plusieurs couleurs.   

La stéatite est une roche compacte et très tendre constitué de talc qui est très largement diffusée (plus de 100 000 perles inventoriées). Ce sont des petites perles (de 2 à 4 mm) qui font partie de colliers en jonc ou à rangs multiples. Elles sont parfois associées à des perles en cuivre.

Les objets métalliques les plus anciens trouvés en France sont importés de régions orientales (Carpates, Autriche, Italie) au IVème millénaire. Mais les premières productions locales apparaissent dans le Midi au début du IIIème millénaire. La chaine opératoire implique une bonne maîtrise de la transformation du minerai en objet métallique avec des fours capables de monter en température. A côté, des poignards, des pointes, des haches plates et des lingots, on retrouve des petites perles en cuivre et en or.

A Penne (Tarn) ce sont des grosses perles en cuivre en forme de tonnelet remontées en collier ou à Saint-Laurent-Médoc (Gironde), on trouve des petits ornements en or dans le tumulus des sables. Beaucoup de ces perles sont travaillées par martelage. Une barre de cuivre est rabattue par martelage puis enroulée autour d’un axe de section circulaire pour obtenir une perle.

En Bretagne, c’est le retour de la fibrolite qui avait été utilisée à Plouguin pour réaliser les premières haches polies produites localement. Sur le site de Kermorvan (Le Conquet), des petites haches-pendeloques sont réalisées sur des petites plaquettes autour de 3000 avant notre ère. On les retrouve en contexte funéraire où ces objets sont considérés comme des outils détournés de leur fonction première pour devenir des parures funéraires dans les tombes collectives de l’Ouest et du Nord de la France.

Dans le Bassin Parisien, ces haches-pendeloques sont en contexte de Néolithique Récent (SOM) et parfois associées à des pendentifs arciformes. Ces pendeloques en schiste sont en forme d’arc de cercle et couvre l’équivalent du tiers ou du quart d’un anneau complet. Elles sont perforées à chaque extrémité pour le passage du lien de suspension. La chaine opératoire est la même que celle des anneaux VSG déjà évoqués mais aucun atelier ni aucun anneau complet n’a été identifié pour le Néolithique récent… On pense donc à une réutilisation d’anciens anneaux VSG reconvertis plus de 1000 ans après en pendeloques arciformes. D’autant que fabriquer des anneaux complets pour les fracturer par la suite ne semble pas très logique.

L’étude de la morphologie et des typologies d’anneaux VSG et de pendentifs arciformes confirment que les uns sont bien à l’origine des autres. On imagine donc les néolithiques parcourant les anciens sites d’habitats VSG pour retrouver des fragments d’anneaux avant de les transformer en pendentifs. Au final, sur les 470 inhumations collectives identifiées dans le Bassin Parisien pour le Néolithique Récent, une quarantaine de tombes contenaient ces pendentifs au nombre de 90 dans le corpus actuel.

En plus de ces pendentifs, toutes ces sépultures collectives SOM présentent une grande variété de parures avec des perles, des pendeloques (arciformes, biforées, en quille, en forme de hache…), des boutons à perforation en V, des bracelets et des épingles. On retrouve l’ensemble des matières utilisées pour les parures au Néolithique (23 au total) l’ambre, le calcaire, le grès, la lignite, la pyrite de fer, le quartz, le schiste, la variscite, l’aragonite, la cornaline, la fluorine, le gypse, le silex, la stéatite, les roches tenaces, les coquillages, les os, les dents, les bois de cervidé, la céramique, le cuivre et or.

Ces parures présentent des traces d’usure en grande majorité, comme une perforation déformée par la tension du lien, ou une forme modifiée au fil de l’usage. Ce sont donc des parures qui ont été portées du vivant des individus déposés dans les tombes.

Les petites haches-pendeloques en roches tenaces ont des formes très proches de celles des haches polies mais dans des proportions réduites (30 à 95 mm de longueur). L’analyse des tranchants montre qu’elles ont été utilisées comme des outils. On a donc 2 hypothèses :

  • Ces hachettes sont des petits outils qu’on porte sur soi
  • Elles sont d’anciennes haches utilitaires recyclées ensuite en pendeloques

Il reste que ces objets devaient être réservés à certains individus car on n’en retrouve qu’un ou deux par tombe, ce qui incite à penser à des objets non-fonctionnels.

Plus généralement, toutes ces parures ne sont portées que par une minorité d’individus. D’abord, la moitié des sépultures collectives du Bassin parisien ne contient pas de parures. Et pour les autres, les corps ornés sont rares : 3 individus sur 143 à Méréaucourt (Oise), 30 sur 300  à Argenteuil (Val-d’Oise), 3 sur 54 à Marolles-sur-Seine (Seine-et-Marne)… un contraste fort avec les inhumations collectives du Midi de la France.

Reste à savoir si toutes ces parures ont une signification ?

Mais pourquoi toutes ces parures ?

Angélique Polloni nous propose quelques hypothèses intéressantes :

La première raison est bien sûr esthétique, pour mettre en valeur l’individu.

Mais la parure peut aussi traduire un statut social individuel. On sait que, dans les civilisations anciennes, les chefs ou les chamans se parent de manière identifiable et reconnaissable par chacun. Porter une parure particulière peut donc être un moyen de se singulariser du groupe ou de laisser transparaître un statut, un rang spécifique.

La parure peut aussi témoigner d’un pouvoir, d’une richesse ou d’un prestige pour un individu capable de porter des parures d’origines lointaines. Ces parures peuvent être l’apanage d’une lignée, d’une famille, et se transmettre d’une génération à l’autre, selon des codes spécifiques.

La parure peut être un moyen de distinction entre les sexes ou entre différentes classes d’âge.  Elle peut être l’indicateur d’une situation de vie (femme mariée, veuve…), d’une activité au sein du groupe, du franchissement de certaines étapes (enfance, puberté, premier animal tué…).

Certaines parures peuvent être le reflet du courage, de la force, de la puissance. On pense aux parures de dents percées an canines d’ours ou de loups.

La parure peut signifier une appartenance ethnique en permettant aux individus d’un même groupe d’être reconnus grâce à leurs parures. Elles aident à favoriser une certaine unité, une cohésion, une reconnaissance des membres entre eux.

La parure peut être un moyen de communication. Les échanges de matières ou d’objets tissent des liens entre les individus ou entre les groupes. Pour se procurer certains matériaux, les individus du Néolithique devaient parfois se déplacer sur de longues distances ou intégrer des réseaux de circulation.

La parure peut être un mode d’expression ou une manière d’exprimer un sentiment, une émotion, un état, une façon de penser…

Certaines parures peuvent servir à accompagner un événement ou d’un rituel. Dans de nombreuses sociétés, il existe des relations entre la parure et les danses, les chants, les rituels, les costumes… Certains ornements peuvent être réservés à une cérémonie ou à une étape, à un moment de la vie (naissances, mariages, rites de passage, décès…).

La parure peut enfin avoir une fonction de protection, qu’elle soit ou non en relation avec une croyance. Elle peut être talisman pour assurer la prospérité de l’individu qui la porte, ou être une amulette pour protéger du mauvais sort ou de certains malheurs. Dans ces deux cas, la parure est un moyen pour les individus qui la possède de se sécuriser.

Les parures sont donc beaucoup plus que de simples ornements pour les hommes de la fin du Néolithique. Ce sont des objets chargés de significations, propres à chaque individu. Leur étude permet donc d’approfondir nos connaissances sur une civilisation, d’autant qu’elles se révèlent être d’importants marqueurs culturels ou symboliques.

Pour en savoir plus : Voir le catalogue « Signes de richesse : Inégalités au Néolithique » (2015) et l’article d’A. Polloni ici sur les sépultures du Néolithique Récent SOM  http://pm.revues.org/324

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