Casse-têtes et sceptres

Depuis le XIXème siècle, il est toujours facile d’associer le développement de l’agriculture au Néolithique à la propriété et à l’accumulation des richesses qui entraineraient un développement de la violence. Les casse-têtes en seraient la meilleure preuve…

C’est oublier un peu vite que le casse-tête n’est pas une invention du Néolithique car il existe déjà au Mésolithique et se retrouve dans certaines tombes à incinération.

C’est aussi nier la fragilité de ces objets qui ne sont pas faits pour endurer les chocs violents très longtemps. Et pourquoi prendre un tel risque avec un objet qu’on aura eu tant de difficultés à fabriquer.

Les sphéroïdes et masses perforées en pierre.

En Alsace, les masses perforées en serpentine sont peu fréquentes. Tout comme les anneaux, elles sont réalisées sur des galets collectés dans le lit du Rhin qui sont piquetés de façon irrégulière et perforés de façon biconique avant d’être emmanchés. Mais, dans la culture Rubané (au VIème millénaire avant notre ère), tous les hommes ne sont pas inhumés avec leur masse. On peut donc penser que ce sont peut-être des signes de pouvoir.

Masse perforée irrégulière

A Ensisheim (Haut-Rhin), une masse a été retrouvée au-dessus du crâne de l’inhumé, ce qui ne permet pas, cependant, d’évaluer la longueur du manche en bois. Il faut donc avoir recours aux exemples ethnographiques pour imaginer ce que pouvaient être les manches.

Au Pérou, dans la culture Moche, les manches peuvent être longs pour les guerriers équipés aussi d’un bouclier ou bien courts pour briser les crânes dans les combats au corps à corps comme en témoignent les crânes brisés.

Sépulture d’Ensisheim (Haut-Rhin)

Dans le dernier tiers du Vème millénaire, les masses perforées se développent sur tout le territoire français et deviennent plus régulièrement sphériques. Suivant les régions, elles sont en grès, en roches volcaniques, en roches alpines mais aussi en calcaire, un matériau qui n’aurait pas résisté à une utilisation brutale au combat.

C’est le cas au Moustoir à Carnac. Dans cette sépulture la masse en calcaire blanc, d’un diamètre de 6 cm, était d’abord un symbole de pouvoir puisque provenant d’une origine lointaine comme d’autres objets trouvés dans cette tombe (silex de Touraine, perles en variscite d’Espagne, haches en roches alpine…).

Sphéroïdes en serpentine

Si on cherche une comparaison ethnographique, on peut penser à la hache-ostensoir de Nouvelle-Calédonie qui est un signe social réservé aux chefs qui sera dressé sur le sol au moment de prendre la parole devant le conseil des anciens.

Au début du IVème millénaire, les sphéroïdes en pierre disparaissent peu à peu et sont remplacés vers -3 500 ans par des équivalents en andouillers de bois de cerf.

Les masses en bois de cerf.

Le cerf tient une place à part pour les néolithiques pour plusieurs raisons. Au Néolithique, ils peuvent peser jusqu’à 400 kilos (contre 200 kilos actuellement) et sont un des meilleurs rendements en viande. Leur peau offre des cuirs résistants et souples pour faire les vêtements, leurs bois sont utilisés pour faire des outils ou des gaines (à partir du IVème millénaire), leurs os font des poinçons, des épingles ou des pointes, leurs craches font des pendeloques perforées qui peuvent former un collier comme à Vignely…

Mais le cerf est aussi présent dans la mythologie des néolithiques. La chasse aux cerfs est figurée sur les gravures du Val Canonica (Italie) ou sur les peintures du Levant espagnol comme sur la Cueva Remigia dans la région de Castellon. Au Val Canonica (début du IIIème millénaire), les cerfs ont des bois hypertrophiés et peuvent être associés à un personnage coiffé d’une couronne en forme de soleil qui exprime une position hiérarchique dominante (bloc de Cemmo à Capo di Ponte).

bloc de Cemmo à Capo di Ponte

La chasse aux cerfs est très ritualisée et peut conduire à de grands banquets pour fédérer la communauté. Sa force et sa vitalité impressionne les néolithiques qui vont exploiter ses andouillers pour en faire des casse-têtes à la finition lustrée et polie. A Chalain, un casse-tête et son manche en bois de 38 cm sont retrouvés in-situ dans une couche appartenant au 31ème siècle. Tout comme pour certaines gaines transversales, la partie spongieuse de l’andouiller a été remplacé par des morceaux d’andouillers pour le solidifier.

Le sceptre de Chalain

Dans d’autres régions, comme dans le Bassin Parisien ou l’Aveyron, des casse-têtes en bois de cerf sont imaginés en imitant les gaines à emmanchement transversale. On parle ici de casse-têtes en bois de cerf de type SOM qui pourrait avoir la même valeur symbolique que les sphéroïdes. Mais à Chalain, un casse-tête en bois de cerf de ce type porte des paires de perforation et pourrait indiquer qu’il s’agirait d’une arme à lancer. On a donc bien, à chaque fois, un objet de pouvoir qui évoque aussi la violence, tout comme le marteau de Thor, célèbre dans la mythologie Nordique.

Casse-tête en bois de cerf – Musée de Laon (02)

Les haches à emmanchement transversal sont aussi très présentes sur les représentations gravées du Bassin parisien, de Bretagne comme en Rouergue. Pour le bassin parisien et la Bretagne, ce sont des gravures sur les parois d’allées couvertes ou d’hypogées taillées dans la craie qui les associent au monde souterrain et à la mort (hypogées de Coizard dans la Marne). Pour le Rouergue, ces signes sociaux sont présents sur  statues-menhirs de « Grands Ancêtres » mais où seuls les hommes peuvent porter sceptre et hache emmanchée.

Hypogée de Coizard

Les sceptres.

La hache-marteau est souvent considérée comme un coin à fendre le bois ou, plus généralement comme une hache de combat imitant les premières haches en cuivre. Les exemplaires de Suisse, souvent en serpentine alpine sont perforés pour le passage du manche à l’aide d’un foret à arc sur cadre fixe. La tête creuse du foret en sureau permet d’extraire de véritables carottes cylindriques découpées au quartz concassé et à l’eau. Cette technique de forage cylindrique avec un trépan creux a connu un succès considérable dès le Néolithique ancien et s’est poursuivie durant près de deux millénaires.

Hache bipenne et hache marteau

Toujours en Suisse, à Cham, la serpentine du massif du Gothard est aussi utilisée pour une hache bipenne dont les datations radiocarbone sur le bois du manche, ont permis d’attribuer cette hache autour de 4 300 à 4 000 ans avant notre ère, c’est-à-dire à la fin de la culture d’Egolzwil. A cette date, aucune hache bipenne en cuivre ou en or ne peut avoir inspiré la fabrication d’une bipenne en serpentine. On est donc bien dans une innovation locale. Le manche en frêne de cette hache de Cham mesure 1,20 mètre et il est décoré d’un enroulement en écorce de bouleau ajouré de petits losanges découpés à l’emporte-pièce. On est donc face à une tête de sceptre, même si la forme de la pierre évoque une arme et la violence. Et cette hypothèse est renforcée par l’analyse des sépultures de Varna en Bulgarie.

Hache de Cham (Suisse)

A Varna, vers le milieu du Vème millénaire, quelques individus sont enterrés avec des haches-marteau en serpentinite dont les manches peuvent être recouvertes de feuilles d’or et rehaussés de cylindres en or. Le jade alpin, tout comme la serpentinite utilisée pour le sceptre de Cham ont donc une même valeur universelle que l’or même si celle-ci a disparu aujourd’hui. On est en face de matières précieuses, à forte valorisation sociale, qui exprime le statut des puissants et parfois des Êtres surnaturels.

Sépulture de Varna et son sceptre

Les sceptres en serpentine gagnent ensuite le territoire français. La récente découverte d’une grande bipenne brisée intentionnellement en trois morceaux dans la fouille de Pontcharaud (Puy-de-Dôme) en est la meilleure preuve. Elle était posée au centre d’un enclos circulaire entourant un tumulus arasé et associée à un tesson Néolithique moyen de la première moitié de IVème millénaire. Bien plus tard, entre 3 300 et 2 800 avant notre ére, on peut aussi évoquer une autre hache bipenne en serpentinite alpine trouvée dans la même région à Davayat (Puyde-Dôme).

Hache bipenne de Pontcharaud

Ces deux haches bipennes du Puy-de-Dôme confirme la valeur sociale de ces objets-signe qui ont pu être transférés sur des distances atteignant 500 km à vol d’oiseau et à des époques très différentes. Les bipennes alpines ont nécessairement influencé les productions de haches-marteau du monde atlantique où domine la méta-hornblendite dont on connaît un gîte près du village de Kerlévot-en-Pleuven, dans le Finistère.

Haches bipennes en meta-hornblendite

La répartition des deux aires de diffusion est frappante. Les bipennes en serpentinite, au départ du lac de Bienne (Suisse), partent vers l’ouest jusque dans la région parisienne, la Touraine et la Limagne. Et par la suite, celles en méta-horblendites quittent le Finistère pour aller majoritairement vers l’est, les environs de Paris, la Touraine et la Limagne. Certains auteurs, comme Gérard Bailloud en 1964, soulignent que les axes de diffusion des poignards pressigniens sont à l’exact opposé de ces haches bipennes, même si ces derniers sont bien plus nombreux et auraient donc été des signes sociaux destinés à un nombre bien plus important d’individus, sans toutefois impliqués tous les hommes.

La hache bipenne de Davayat

Pour aller plus loin, cet ouvrage indispensable !

Laisser un commentaire