La hache taillée – Mythe et réalités

Il existe un mythe autour de la lame de hache taillée en silex, et un mythe très répandu, celui d’être un outil complémentaire aux lames de haches polies en silex. Mais la réalité est bien différente car la hache taillée n’est qu’une étape dans le processus de fabrication de la hache polie. Mais alors, pourquoi en retrouve-t’on autant dans les collections des musées de Préhistoire ?

Pour comprendre la hache taillée, le mieux est de revenir aux différentes étapes de la fabrication d’une lame de hache en silex.

Méthode opératoire 

Pour réaliser une lame de hache taillée, la méthode opératoire est bien documentée.

Le processus décrit dans le livre « La hache de silex dans le Val de Seine »

Les deux premières étapes sont l’extraction et la préparation du bloc au sein d’une minière. Ce bloc va être testé pour identifier une fissure possible ou une cavité interne. Alors commence le dégrossissage au percuteur dur pour transformer le bloc en un bloc aménagé. Cette préparation est d’abord unifaciale puis bifaciale et permet de rejeter les blocs présentant des diaclases, du cortex interne ou une silification trop faible. A la fin de cette opération, on voit déjà la section avec ses deux crêtes latérales, le tranchant et le talon. Les blocs validés et aménagés quittent alors la zone des minières pour rejoindre les communautés villageoises alentours.

Blocs aménagés.

La troisième étape est la transformation du bloc aménagé en ébauche de hache taillée qui va se faire par percussion directe tendre avec du bois de cervidé. Les causes de rejets peuvent toujours être liées à la matière ou à des fissures mais ces cas deviennent marginaux. Car plus on va avancer dans la fabrication de la lame, plus c’est le savoir-faire du tailleur qui va induire des rejets. Et c’est d’autant plus vrai pour les grandes préformes (au-delà de 20 cm) qui requiert nettement plus de savoir-faire que la taille de pièces moyennes.

Ebauches

La quatrième étape est de partir de l’ébauche pour en faire une « hache taillée » prête pour le polissage. Ici le taux de rejet est complétement lié à la qualité du tailleur. En effet les opérations d’ébauchage consistent à régulariser le tranchant par petits enlèvements et à régulariser la section et les bords pour faire disparaitre les aspérités et faciliter le polissage. Et les incidents sont vite arrivés comme une pression trop forte qui vient briser le tranchant ou une préparation qui va laisser des « creux » qui seront impossibles à rattraper au polissage sans fragiliser la pièce à force de descendre l’ensemble de la surface adjacente déjà polie.

Haches taillées

On comprend mieux pourquoi on va retrouver des « haches taillées » qui sont en fait des rejets de taille pour des pièces qui ne seront jamais faciles à polir. Et, par opposition, on comprend aussi que toutes ces opérations n’ont pas pour objectif de fabriquer une hache taillée, mais bien de fabriquer une lame de hache destinée à un polissage qui va être plus ou moins long suivant la qualité de la préparation. Car là où il faut moins d’une heure pour obtenir une « hache taillée », il faudra ajouter entre 8h00 et 17h00 de polissage pour une lame de 20 cm (suivant que la lame soit polie à 60% ou à 90% et hors polissage au va-et-vient).    

Pourquoi polir une lame de hache ?

Il existe une littérature abondante sur le polissage et son intérêt. A l’opposé, il n’existe pas de traces d’utilisation des haches taillées en percussion lancée et pour cause… La cognée provoque un choc violent sur la lame et sans une phase de polissage, la lame se briserait net dès la première utilisation. Le polissage assure donc la longévité de la lame en propageant l’onde de choc de la cognée de façon régulière sur la lame.

Bien sûr, il existe de nombreux outils au Néolithique qui ne sont pas polis. Et certains, comme les tranchets sont emmanchés et utilisés en percussion lancée comme herminette pour le travail du bois ou de l’os. Mais on est sans doute plus sur un travail de finition ou de préparation qui n’a rien à voir avec la puissance nécessaire aux travaux de bucheronnage.

Second avantage, un tranchant bien poli et sans aspérités va être « beaucoup plus efficace pour trancher les fibres du bois, en particulier du bois vert, sans s’esquiller, sans s’esquinter ». C’est ce que nous explique Jacques Pelegrin, LE spécialiste du lithique au CNRS dans la vidéo ci-dessous :

https://www.youtube.com/watch?v=Y2SmbHbceuo

Troisième bénéfice, une lame polie va pouvoir se réaffuter pour être réutiliser dans sa fonction originelle de lame de hache (ou herminette). Toutes les lames qui sont utilisées sont périodiquement réaffutées et il suffit souvent d’observer la section de la lame pour comprendre qu’à l’origine, elle devait être plus longue.

Lame de hache en silex de Girolles à réaffuter

La fracture du tranchant avec forte languette est la plus typique. Elle commence perpendiculairement puis s’arrondit vers la face opposée en une longue et large languette qui peut s’étendre vers le talon comme vers le tranchant. Le fragment le plus court, ou les deux, sont alors abandonnés sur place. C’est souvent le cas au cours d’une activité de défrichage ou d’acquisition ou dégrossissage de bois d’œuvre, expliquant leur fréquence à l’état isolé lors de prospections.

Un autre accident caractéristique mais réparable, est l’arrachement en pseudo-coche d’une portion du tranchant. Au prix d’une certaine perte de longueur, la hache est alors réparable moyennant le façonnage délicat d’un nouveau tranchant taillé par un peu de percussion puis par pression, et d’une longue phase de réfection de ses pans par abrasion et encore de finition du fil.

Haches au Musée de Nemours (77)

Le tranchant d’une lame de hache en silex est donc extrêmement vulnérable à tout contact intempestif contre un matériau dur (pierre, os, bois de cervidé). Hors emploi, la lame polie devait être soigneusement emballée dans un épais manchon de protection souple, et rangée hors de portée de tout choc ou d’une main malhabile.

Mais pourquoi toutes ces haches taillées ?

Les causes sont donc multifactorielles.

Il y a d’abord les rejets de taille. Comme on l’a vu, le polissage est très long et fastidieux et une erreur à la taille peut disqualifier la pièce si elle génère trop de perte de temps. Les exemples de grandes haches taillées au tranchant abimé par un coup trop prononcé sont nombreux dans les collections issues des sites proches des minières. Il faut penser aussi au savoir-faire de l’apprenti tailleur qui se forme et va produire de nombreux rejets les premières années. Cela dit, comme rien ne se perd, beaucoup de ces ébauches ou ces haches taillées disqualifiées seront remises dans le circuit pour être transformées en pics, en brise-motte ou encore en tranchet.

Ici, une superbe lame de hache taillée qui n’a pas été sélectionnée pour le polissage, sans doute à cause de cette cassure au tranchant.

Il y a ensuite la géographie. Si la préparation du bloc se fait sur la minière, l’ébauchage et la taille de la hache se pratiquent dans les villages situés aux alentours mais le polissage, par définition, se fait là où il y a un polissoir. Le tailleur ne va pas faire 10km de marche à chaque fois qu’il souhaite polir une seule lame. Il y a donc un stock de haches taillées qui est constitué dans les villages en attendant le polissage. Et ce stock peut se perdre ou s’oublier et se retrouver dans nos collections quelques milliers d’années après.

Autre facteur, le processus de fabrication. Le polissage dure beaucoup plus longtemps et impose un temps de cycle différent de celui de la taille (45mn vs 12h00). D’autre part, il n’est pas réalisé par les mêmes acteurs. Là où il faudra un tailleur confirmé pour transformer une ébauche en hache taillées, l’activité de polissage est plus accessible à une personne non formée. Sauf peut-être si on pratique le polissage au va-et-vient qui est beaucoup plus technique.

Polissoir

La saisonnalité peut ajouter un facteur. On sait que le quotidien des agriculteurs du Néolithique est rythmé en fonction des saisons (labours, semis, récoltes, vêlages…). L’activité minière est surtout estivale comme l’ont démontré les préhistoriens du Grand-Pressigny dans l’analyse des dépôts de lames de silex à la Guerche. La parallèle avec les poignards pressigniens est d’ailleurs intéressant car ici aussi, on retrouve des amas de lames brutes sur les sites d’extraction et des dépôts de lames retouchées y compris dans le Bassin parisien.

Mais, au-delà de toutes ces causes liées à la qualité du silex et à la fabrication de la lame, il y a sans aucun doute un effet important lié à la diffusion des productions.

Les haches taillées liées à leur diffusion

Dans son livre « la hache taillée dans le Val de Seine », François Giligny explique les différents modèles de diffusion des lames de haches. Si les blocs aménagés restent à proximité des sites d’extraction, les ébauches sont diffusées plus largement : « On peut donc constater qu’à l’échelle régionale, les produits sont transportés en dehors des lieux de productions dès le stade de l’ébauche, avec quelques très rares pièces transportées au stade de la préparation bifaciale ». On peut comprendre qu’il est plus « rentable » pour une communauté d’échanger une ébauche ou une hache taillée qui est le résultat d’une petite heure de travail que de le faire pour une hache polie qui a mobilisé la communauté pour 10 à 15 fois plus de temps. Car ce qui a de la valeur, c’est d’abord la qualité de la matière première.

La diffusion des blocs, des ébauches et des haches taillées depuis le complexe de Mauldre.

Il ne faut pas oublier que la répartition des minières n’est pas homogène sur le territoire. Il y a donc des communautés qui ont un accès direct à la matière première et d’autres communautés qui n’ont pas accès à cette « richesse ». Dans la vallée de l’Aisne, très propices à la culture céréalière, les chercheurs ont mis en évidence une forte concentration de sites néolithiques de différentes tailles (grandes enceintes de plaine, éperons barrés, petites enceintes de plaine, grands villages de plaine et petites installations de plaine) mais pas de minières ou de gîtes de matière première exploités de manière intensive. Les plus proches sont les minières en silex tertiaire du secteur de Romigny et Lhéry dans la Marne. On a donc sans doute mis en place des échanges entre les communautés pour obtenir des ébauches ou des haches taillées.

L’analyse du complexe minier le long de la vallée de la Mauldre (Yvelines) confirme que le contrôle des sites est primordial pour les communautés. La minière de Flins-sur-Seine est située dans une zone à peu près vide d’indices d’habitats. Les communautés étant sur l’autre rive de la Mauldre du coté d’Epône, de Montainville et de Beynes : « On peut donc supposer que ce gîte était exploité régulièrement par les populations fréquentant la minière de manière saisonnière ».  Mais on note la présence d’une enceinte de plaine le long de la Seine dans la boucle du Vaudreuil, aux Mureaux. Cette enceinte est donc juste en contrebas de la minière à silex, peut-être pour mieux en assurer le contrôle.

En Angleterre, quelques publications sur les minières du sud du pays ont abordé les thèmes du rôle des enceintes dans le système de production et de circulation des haches et celui du statut des mines dans le territoire. L’hypothèse du lien entre enceintes, contrôle des ressources lithiques et fabrication d’outils lithiques est assez courante, surtout si les minières sont éloignées des zones d’habitats.

Conclusion

Rejets de taille, haches taillées en attente de polissage, productions saisonnières qui est stockée, ébauches destinées à être échangées avec d’autres communautés… les raisons de rencontrer une hache taillée sont donc nombreuses. Mais je vais ajouter les faux et les copies récentes à cette liste.

Tout comme les terrassiers de Saint-Acheul qui produisaient de faux bifaces pour les amis de Boucher-de-Perthes, la production de fausses haches taillées est un grand classique. Et on peut le comprendre car les prix sont très soutenus (et souvent plus élevés que ceux d’une lame de hache en silex poli), la patine est facile à reproduire (avec un peu de technique) et la production reste à la portée d’un bon tailleur (alors même qu’un polissage à la machine est très facilement identifiable). Si en plus la localisation fictive de la pièce est celle d’un site connu pour ses gisements (le Grand-Pressigny, Jablines…), alors c’est le jackpot pour le vendeur. Et malheureusement, ne pensez pas que vous serez à l’abri en achetant vos haches taillées en Salle des Ventes car c’est là où je vois les plus belles copies !

« Importante hache taillée ovalaire » de 39cm portant une inscription « Grand-Pressigny » vendue en 2017 dans une grande Maison de vente parisienne (5377€ avec les frais). Elle ne m’inspire pas du tout confiance…

Et pour aller plus loin, je vous conseille cet excellent ouvrage :

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